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Blogue

L'actualité du Théâtre du Tandem
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La pensée d’Alain Deneault

Qui est Alain Deneault?

Alain Deneault est un philosophe québécois. Il est actuellement directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris et intervient régulièrement à l’Université de Montréal et à l’UQAM.

Son travail traite d’économie, du pouvoir et de la souveraineté des multinationales et des acteurs privés, des paradis fiscaux mais aussi de l’idéologie managériale. Auteur de nombreuses publications et essais (comme Noir Canada (Écosociété 2008), Offshore (Écosociété / La Fabrique 2010), Paradis sous terre (Écosociété / Rue de l’Échiquier 2012), « Gouvernance » (Lux 2013) et Paradis fiscaux, on le retrouve régulièrement au-devant de la scène dans le cadre d’émissions, conférences et débats.

À écouter :
Conférence Bande de colons – Festival TransAmériques

Le colon dans l’histoire des idées au Québec

Par Richard Lefebvre, chercheur en autochtonies américaines

Bande de bouffons, la création que livre aujourd’hui le Théâtre du Tandem, est un paronyme de Bande de colons. Bande de colons est le titre qu’a donné Alain Deneault – auteur, conférencier et professeur de philosophie politique– à la réflexion qu’il mène depuis plusieurs années sur la question de l’héritage colonial canadien. Deneault avait présenté en octobre 2015, au Café Agora de Valleyfield, une première conférence intitulée Portrait du Québécois en colon. Il y avait développé l’idée que les Canadiens français et les Québécois ont, au cours de l’histoire, servi de main-d’œuvre au projet colonial d’appropriation des ressources du territoire canadien, un rôle historique qu’il associe à la figure du colon. Une nouvelle version de cette conférence, intitulée Bande de colons, a été communiquée en juin 2017 à Montréal dans le cadre du Festival Trans-Amériques. Deneault a recours au modèle conceptuel élaboré par l’écrivain tunisien Albert Memmi dans l’essai intitulé Portrait du colonisé (1957). Memmi y avait décrit et analysé deux figures clés du système colonial – le colonisateur et le colonisé. Deneault complète cette réflexion en développant spécialement le concept du colon, un élément constitutif de cette forme particulière de colonialisme nord-américain que sont les colonies de peuplement (settler colonies) que l’écrivain tunisien, surtout inspiré par l’expérience coloniale nord-africaine, avait laissé en friche.

L’interprétation historique du Québécois dans la posture du colon, malgré qu’elle ne soit pas tout à fait nouvelle, est restée plutôt marginale dans l’histoire des idées au Québec. Au tournant de la Révolution tranquille en effet, une génération d’intellectuels intéressés par la condition du Canadien français et du Québécois, parmi lesquels on compte Pierre de Grandpré, André D’Allemagne, Hubert Aquin et les collaborateurs de la revue Parti pris, s’était inspirée des concepts d’Albert Memmi pour articuler la thèse rangeant le Canadien français ou le Québécois dans la position du colonisé. Cette thèse est celle qui, jusqu’à aujourd’hui, est demeurée prédominante.

Albert Memmi était conscient de l’intérêt suscité par ses idées auprès des intellectuels québécois. En 1966, il avait dédié une réédition du Portrait du colonisé à ses « amis canadiens français ». Il autorisa en 1972 une réédition montréalaise de son essai aux Éditions de l’Étincelle. L’édition montréalaise comprenait une nouvelle préface de Memmi, ainsi qu’un appendice intitulé « Les Canadiens français sont-ils des colonisés ? » qui revêtait la forme d’un dialogue entre des « Élèves » et « Albert Memmi ». Memmi évitait de répondre directement à la question en titre, et choisissait plutôt de reconnaître dans la condition du Canadien français les symptômes d’une domination, croyant qu’il appartenait aux Canadiens de décrire la spécificité de leur condition. Il est intéressant de relire aujourd’hui dans cet appendice l’objection d’un « Élève » qui soutenait que les Canadiens anglais et les Canadiens français sont « deux peuples colonisateurs, dont l’un a été vaincu par l’autre », et que « les vrais colonisés, ce sont plutôt les Indiens ».

Près de cinquante ans plus tard, Bande de colons déterre la question posée par cet appendice. Alain Deneault s’emploie à dissiper la confusion créée par les pionniers du mouvement indépendantiste entre la posture, hautement questionnable, du colonisé canadien français et celle, historiquement indéniable, de sa prolétarisation. Il jette un éclairage choquant, mais salutaire, sur le rôle exercé par le colon en tant que collaborateur de l’entreprise d’exploitation des ressources au profit des colonisateurs venus d’ailleurs et au détriment des colonisés, lequel se manifeste, dit Deneault, dans le rapport de conquête et d’occupation que les Canadiens français et les Québécois ont tissé avec le territoire.