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L'actualité du Théâtre du Tandem
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Guyenne, l’art de se réinventer

Par Mélanie Hallé, collaboratrice du Théâtre du Tandem
Photo: ©1979, François Ruph, Le monde en images, CCDMD

Le développement initial de Guyenne, comme on l’a vu dans le premier article, a permis à la jeune colonie de prendre son essor rapidement. Cependant, pour que ce développement porte fruit, il est nécessaire de consolider le modèle. En 1963, un plan de développement est élaboré avec l’aide d’experts afin d’assurer la viabilité et la rentabilité des deux pôles économiques de Guyenne : l’agriculture et la foresterie. On veut entres autres établir des pâturages communautaires, cultiver des pommes de terre en commun et s’assurer d’une gestion durable et à long terme de la forêt environnante. Le plan est ambitieux mais réalisable pour peu que l’on trouve du financement extérieur.

Ce plan de développement va au-delà de ce que prévoit la législation de l’époque et déborde des cadres des programmes de subvention. De plus, comme l’explique Robert Laplante, « une gestion patrimoniale de la forêt heurte plus que jamais les intérêts des grandes compagnies papetières au moment où, au début des années 60, la demande subit une véritable explosion »[i]. Par ailleurs, le volet du développement agricole s’inscrit à contre-courant des orientations du gouvernement du Québec de la Révolution tranquille, qui choisit de tourner le dos à l’agriculture et abandonne les mesures de colonisation. Dans un tel contexte, c’est sans surprise que les délais administratifs s’additionnent et que le projet s’enlise. Cette lente agonie du plan de développement exacerbe les tensions internes au sein du village et cause des départs, qui fragilisent l’économie et le tissu social de Guyenne.

À ces difficultés s’ajoutent le refus par le gouvernement de renouveler les permis de coupe sur la forêt exploitée collectivement, ainsi que l’incendie de la scierie de Press (1966) qui avait été achetée quelques années plus tôt. Il s’avère impossible de reconstruire cette scierie, faute de financement adéquat. Vers la fin des années 60, le couperet tombe : la colonisation de l’Abitibi-Témiscamingue était une erreur, on parle maintenant ouvertement de fermer des villages et de relocaliser les gens. Guyenne fait partie de ces paroisses dites « marginales » à faire disparaître. Des allocations sont même offertes aux colons pour leur relocalisation[ii]. Devant le spectre de la fermeture et le risque de tout perdre, les maisons se vendent pour une bouchée de pain. Selon, Yolande Desharnais, une des pionnières de Guyenne, le départ de vingt-deux maisons en un seul été, au plus fort de la crise, est un choc pour la communauté de Guyenne.[iii] Vingt-deux maisons, c’est exactement le nombre de bâtiments qui avaient été construits durant l’été 1947, lors de la fondation du village. La blessure est à la fois physique et symbolique. Le moulin à scie de Guyenne doit fermer ses portes en 1972 devant le refus du gouvernement de lui assurer un approvisionnement stable et adéquat. L’école, elle, cesse officiellement ses activités en 1979.

Devant l’adversité, les citoyens de Guyenne ne baissent pas les bras. Forts de leur expérience de coopération, ils mènent la résistance et s’impliquent dans la création du Comité des paroisses marginales, qui regroupe une quarantaine de villages menacés de fermeture. On s’entraide, on se serre les coudes, on revendique le droit d’exister. Diverses initiatives sont lancées un peu partout. C’est dans cette période sombre mais fertile que naît la coopérative des Serres de Guyenne, en 1980. À cette époque où la sylviculture en est à ses premiers balbutiements au Québec, les travailleurs forestiers de Guyenne détiennent un précieux savoir-faire acquis grâce à la gestion de leur forêt. Ils décrochent un important contrat auprès du Ministère de l’Énergie et des Ressources pour la production de plants destinés au reboisement. Au fil des ans, la production connaît des hauts et des bas. Certains volets, comme la production de tomates et de fleurs, sont abandonnés. Néanmoins, trente-cinq ans après sa création, la coopérative se positionne en chef de file. Les Serres produisent de 20 à 25 millions de plants par année, comptent douze employés permanents et plus d’une centaine d’employés saisonniers. Il s’agit du plus gros producteur privé d’arbres avec une part de marché de 16,7% au Québec[iv].

Belle réussite pour un village voué à disparaître !

[i] Laplante, Robert. Guyenne, village coopératif : « la petite Russie », Cachan [France] : Éditions de l’ENS-Cachan, 1994, p. 251

[ii] Odette Vincent (sous la direction de), Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1995, p.252.

[iii] Propos recueillis lors d’une rencontre de l’équipe du Théâtre du Tandem avec des citoyens de Guyenne le 31 août 2016, à Guyenne.

[iv] Article nouveau membre à la FQCF : Les Serres coopératives de Guyenne », lemondeforestier.ca, consulté le 15 septembre 2016.